La honte et l'humiliation

Photo > JJ Magnan
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L'humiliation « victimise » alors que la honte « menace »

 

Quand une personne se sent humiliée par une situation, un acte posé par quelqu'un, elle peut protester, se plaindre, avoir une réaction violente, elle peut se venger ; elle peut également rester prostré, se plaindre, fuir. Elle peut choisir entre tous ces types de défenses car elle peut se regarder comme une victime, avoir accès à ce statut. En ce sens, l'humiliation amène un potentiel de réponse, une adaptation qui peut s'avérer positive en terme d'image narcissique en permettant à la personne victime de trouver une place dans un groupe d’appartenance. La personne pourra se dire ou exprimer devant les autres : « j'ai été capable de répondre, je ne me suis pas laissée faire ! » ou « je suis une victime, aidez-moi, je demande réparation » ! L’autre est transformé en « bourreau », il pourra être exclu par le groupe, accusé, justice pourra être rendue, la victime sera reconnue comme ayant subi un préjudice, elle obtiendra réparation.

La honte ne permet pas ça, elle est un poison pour la personne dans le sens où elle ne peut venir que d’autres qui sont importants à ses yeux ou/et qui font référence dans son histoire. La honte empoisonne en créant une dépendance, un état de soumission où la dénonciation est interdite de peur de perdre le lien à l'autre, au groupe, et de ne plus être reconnu comme digne de confiance ; de ne plus avoir droit à cette relation ou de ne plus appartenir au groupe auprès duquel la personne cherche la reconnaissance. Si elle dénonce, elle perd le lien, la reconnaissance ; si elle ne dit rien, elle se retrouve dans un lien de dépendance, de soumission.

 

La honte est différente de l'humiliation dans le sens où elle ne permet pas la réaction, car le prix à payer semble trop important. L'humiliation permet la réaction alors que la honte rend la personne impuissante de peur perdre le lien.

La personne qui humilie dit « j'ai peur de toi, donc il faut que je te dénonce, que je te punisse, que je t'humilie » alors que la personne qui provoque la honte dit « tu es une merde, je n'ai même pas besoin de te punir » ; L'humiliation regarde la personne et la fait exister alors que la honte l'oblige à disparaître, à ne plus être.

 

Même si la honte et l'humiliation sont différentes, elles sont quand même fondamentalement liées. Dans l'intention d'humilier est le germe de la honte ; avec la honte se développe l’humiliation. Si la personne se sent humiliée, elle va se sentir dévalorisée, niée. Cette attaque réelle de son identité va venir alimenter un sentiment de honte. Si la personne est dans un sentiment de honte, elle ne va pas pouvoir s’affirmer, se sentir dépendante, dévalorisée, et facilement "humiliable".

 

Pour bien comprendre les marques laissées dans le système psychique de la personne, il faut prendre en compte le moment où l'humiliation arrive dans son histoire. Plus elle arrive tôt dans la structuration psychique, plus elle va avoir des effets dévastateurs sur la constitution narcissique en tant que personne « aimable, acceptable », digne d’intérêt. Plus elle va se reproduire souvent dans son histoire, plus elle va « colorer » son système psychique et générer des systèmes de défenses coûteux en énergie (Cf. article précédent).

En conclusion, la honte et l’humiliation sont étroitement liées bien que différentes quant aux capacités à mobiliser des systèmes de défense protecteurs de l’image narcissique de la personne. Ce sont néanmoins deux vécus douloureux qui déstructurent l’identité.

 

 

Bibliographie

Honte, Culpabilité et Traumatisme – Albert Ciccone . Alain Ferrant – Ed. Dunod

Mourir de dire La honte – Boris Cyrulnik – Ed. Odile Jacob

Les liens de l'amour – Jessica Benjamin – Ed. Métailié

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Commentaires: 11
  • #1

    Longuet (lundi, 26 janvier 2015 14:00)

    Merci pour cette distinction pertinente entre deux mots voisins mais pas synonymes !
    En écoutant le français, on aurait pu arriver à la même distinction : on est "humilié par" tandis qu'on a "honte de". L'humiliation se fait dans le lien au monde extérieur, tandis que la honte se joue en huis-clos intime de soi à soi...
    Ne dit-on pas à un enfant :"Tu devrais avoir honte !", preuve que ça ne lui serait pas venu à l'esprit tout seul !!!
    L'humiliation a au moins l'avantage de créer du lien (humour) !!!

    Pour moi, la honte/humiliation fonctionne un peu comme la peur : on peut avoir peur... de la peur (appréhension à l'idée de revivre une situation insécure).
    De même, on peut avoir honte, ou non, d'être victime d'une humiliation. Selon qu'en nous est validée, ou non, la "légitimité" du bourreau, on va se défendre (reprenant notre légitimité justement) ou s'enfoncer dans la culpabilité.
    Je fais ici synonyme entre honte et culpabilité : "coupable" est le participe présent du verbe couper... la tête !!! Il y a donc faute, manquement à un règlement tacite ou explicite. La notion morale est mise en avant. Tandis que la honte, c'est "juste" le sentiment pénible, le poison qui en découle.
    Précision supplémentaire : honte concerne le soi, et culpabilité concerne plutôt l'acte.
    Honte : je me juge d'être ce que je suis, il y a q chose qui cloche en moi
    Culpabilité : c'est davantage mon comportement qui est visé

    Sur le net, je découvre une fonction de la honte : Elle peut être une conclusion que l'enfant tire lorsqu'il se trouve confronté à une tache impossible (par exemple : "je n'arrive pas à empêcher Papa de se saouler"). Une façon de ne pas ressentir directement le sentiment d'impuissance, en y substituant un autre sentiment "moins fort" : la honte comme écran... gluant !

    Pour finir, j'observe le nombre élevé de synonymes pour "honte" : la plupart sont littéraires (opprobre, vilénie, avanie, turpitude...........) comme si on ne parlait de honte que "intelligemment"... Les seuls synonymes populaires tournent tous autour de la notion de "sale" (dégueu, crasse, ordure....), référence au corps donc, assortie d'une éventuelle notion d'injustice (vacherie, saloperie...).

  • #2

    Suzanne (mardi, 24 mars 2015 09:15)

    Bonjour,
    je me suis posée quelques questions par rapport à ce texte, les voici :
    1) Est-ce que rester prostré (devant une humiliation) est une défense ? Est-ce que c’est une tentative de paraître insensible et inatteignable ?
    2) En quoi l’intention d’humilier est-elle différente du fait d’humilier ? Peut-on placer la honte et l’humiliation sur un continuum avec la honte, qui en s’accumulant, devient une humiliation ? Est-ce mieux d’arriver à l’humiliation afin de pour voir « réagir » (j’imagine que ça dépend des histoires de vie de chacun) ? Mais si l’humiliation génère de la honte, alors c’est un cercle vicieux…
    3) Les systèmes de défense de par rapport à la honte sont inconscients alors que ceux par rapport à l’humiliation sont plus conscients ?

  • #3

    Jean-Jacques (jeudi, 26 mars 2015 21:07)

    Merci pour vos commentaires et questions

    En réponse à la question 1), je pourrais éclairer les choses en notant qu'il s'agit d'une des 3 réponses possibles à une agression. L'affrontement est la première, quand on juge être capable de gagner, la fuite est la seconde quand on estime avoir une chance d'échapper à un agresseur que l'on estime plus fort que nous, rester prostré est la troisième quand les deux autres semblent impossibles. Cette défense permet à certains animaux "qui font le mort" d'échapper à leur prédateur. C'est pour l'homme une défense de soumission qui signifie à l'autre : "afin de ne pas mourir, j'accepte de rester soumis à ton pouvoir".

    En réponse à la question 2) j'ajouterais que oui, il s'agit là d'un cercle vicieux. L'humiliation génère de la honte et la honte de l'humiliation potentielle. La honte génère une posture qui appelle l'humiliation. L'humiliation dégrade l'image de soi et engage sur le chemin de la honte.

    Pour finir par la question 3), il me semble qu'il faut regarder les choses un peu différemment dans le sens où l'on peut plus facilement réagir à l'humiliation car on peut prendre le statut de victime et donc réagir, dénoncer l'injustice alors que la honte ne permet pas la réaction puisqu'elle menace la personne d'un sentiment de non existence aux yeux de la personne qui en a été la cause.

  • #4

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